Une architecture anarchique des années 80-90 venant défigurer des monuments classiques, une infrastructure laissant à désirer, des transports communs décidément trop communs, des habitants, nerfs à vifs, supportant mal les difficultés de leur triste quotidien. Sans citer une spéculation frénétique sur l'immobilier et son lot de corruption des édiles qui, allez comprendre pourquoi s'en tirent toujours à (très) bon compte.
Mais, malgré ces tares, c'était la ville de Fred et il l'aimait comme on aime son doudou : affectueusement. Des souvenirs de jeunesse, un club de foot qu'il s'était pris à supporter malgré ses piètres résultats, des endroits chaleureux (dont le café où il s'installa), des amis (enfin 2 pour être précis, Soulley et Julie, son ex) qu'il savait proche de lui, tout cela lui convenait. C'était sa petite bulle qu'il protéger à tout prix.
Attablé à une table de comptoir, Soulley justement l'attendait depuis 20 bonne minutes.
- Comme d'hab, Fredo, tu es en retard. t'auras rien appris de ton passage chez les militaires, mon grand? Une bière pour moi et un café pour mon ami, histoire qu'il se réveille, ordonna la grande carcasse d'un ton ferme au serveur qui papillonnait autour de lui.
- M'appeler au petit matin (10h pour être exact) pour m'informer d'une affaire sensible pouvant m'intéresser méritait bien un coup de cirage. Le sergent-major qui sommeille en toi n'aurait pu supporter mon état de délabrement avancé.
Sulley était son instructeur en arts martiaux quand il opérait au sein de la Direction de Renseignement militaire. En plus d'un physique de deuxième ligne de rugby, il était d'une rare agilité avec ce qui lui servaient de mains et pieds et mieux valait passer son chemin qu'à essayer de le provoquer.
- Fred, je voudrais te présenter une amie à moi, qui travaille pour le Gouvernement et qui évoquait avec moi à mots couverts un doss pouvant faire appel à tes dons de magicien de l'informatique.
- Ah, les réductions de budget ont eu la peau des services informatiques de l'Etat?
- Non, en plus de ces qualités, je crois que cela a également à voir avec tes connexions dans les milieux de la Gauche radicale que tu fréquentais.
- Oh tu sais, ca fait un bail que j'ai quitté et l'informatique et la radicalité. On vieillit, on se modère et on s'améliore pas. Elle vient quand, ta miss?
- Tes vœux sont exaucés. Check à tes 12h.
Boum, explosion mentale. choc frontale, le café qui manque de se renverser. Une superbe brune, lunettes noires posées sur un visage parfait, un corps athlétique et bronzé ( un bronzage made in Bahamas, pas Palavas les flots), des jambes interminables accrochés à une paire de fesses remarquables marchait d'un pas décidé vers nous. Plus incandescente que l'Enfer, plus sexy qu'une pin up des calendriers de camionneurs.
- Bonjour Sulley. Fred, je présume. Bonjour, moi c'est Lilly.
Des mains fines et fermes se tendirent vers Fred, Tu parles d'une Lilly, c'est plutôt Lilly la Tigresse avec ses longs ongles soignées. Un parfum ( Dior d'après souvenir) rafraichissait notre espace.
- Fr..Fred, enchanté, balbutia avec peine notre informaticien.
- Coupons court aux salutations. Voila, ma présence ici est en off. Je travaille au sein de la Commission des Informations Privilégiées ( la CIP) et avons eu vent d'un fâcheux incident, méritant une intervention à la fois rapide et discrète; d'où votre présence et la mienne.
- Déroulez, cher Lilly. J'ai encore du mal à décrypter le sens général.
-Voila! Le directeur de cabinet du Ministre des Affaires Etrangères a perdu son ordinateur récemment. Ses enfants ont organisé une soirée et nombre d'invités ont été conviés dans sa ferme. Cela a fini en Woodstock version 2022, c'est à dire un désordre sans nom. Le jardin saccagé et les chambres investies par ces hordes de Hippies néo-bobos.
Cependant, Deux éléments ont attirés notre attention : 1. Ses 2 garçons, âgés de 24 et 18 ans sont très proches des milieux écolo-pacifistes radicaux . 2. Le Dircab en question était en charge d'une affaire impliquant des échanges de notre pays en matière nucléaire avec une puissance moyenne.
- Je ne vois rien de compliqué. Il suffit de bloquer l'accès de l'ordinateur et de crypter les données.
-Merci de votre lucidité, Fred. Seulement, nous avons eu vent que ces données étaient susceptibles de tomber entre les mains de puissance étrangères, qui, vous en conviendrez, se feront un plaisir de cracker ces codes. On ne peut se le permettre. Vos connaissances tant en crypto que de ces milieux nous semblent tout indiqués pour mener à bien cette mission. Il va sans dire que vous serez largement bien rétribués et, d'après votre dernier relevé bancaire, votre banquier en sera ravi. Qu'en pensez-vous? Nous avons besoin que cette affaire soit close d'ici 72 h max. On est Vendredi, cela vous laisse largement le temps par conséquent.
Ce n'était pas tout à fait une demande formulée, mais plutôt une exigence. Il est vrai que le frigo de Fred sonnait aussi creux que son compte bancaire. Et bien que d'un tempérament frugale, de l'argent gagné aussi vite ne se refusait pas.
- Vous aurez bien sûr tous les renseignements que vous souhaitez dans cette enveloppe : de l'adresse de l'étourdi de DirCab, de ses enfants, les invités présents ainsi qu'une liste non exhaustive de groupuscules susceptibles de s'emparer de l'information. Vous toucherez en cas de succès de cette mission $8757. Nous ne pouvons dépasser ce plafond pour des restrictions budgétaires que vous comprendrez aisément!! Vos frais en sus. Je serais votre contact dorénavant.
En sus, en sus, faut pas l'allumer le Fred. Encore heureux. Non seulement son week-end avec son garçon ( c'était son tour de garde depuis son divorce) tombait à l'eau, mais en plus il se voyait la charge de sauver le gouvernement d'un scandale. Avouez que pour un récent rescapé d'un coma profond, ce n'est pas courant.
D'un autre côté, revoir Miss Lilly n'était pas pour lui déplaire.
- La prochaine tournée est pour moi.
